Dominique Renson : Je travaille sur la représentation de la figure humaine. Je réalise une œuvre exigeante, que certains peuvent à bon droit considérer comme un peu difficile, non d’office impliquée dans ce que certains appellent l’« art contemporain ».
Oui. Celle des amis. Dans la perspective, aussi, de l’autobiographie. Actuellement, je travaille sur le thème de la Céne. J’ai fait poser mes amis, qui sont les douze apôtres eEnt le Christ. Dans chacune de mes images il y a un concept, une scénographie. Pour cette nouvelle série, je vais rechercher l’image d’un christ mais alors non convientionnelle. J’imagine une mise en scène en faisant poser mes modèles, bien souvent toujours les mêmes. Pour ma série Cérémonie, j’ai fait poser mes modèles sur un banc récupéré dans une église proche de mon atelier. Le critère de mon choix des modèles ? L’amitié mais aussi des êtres qui ont un quelque chose de particulier… Des gens dans lesquels je peux me glisser, avec l’image desquels je peux dresser une sorte d’autoportrait. Des personnes habitées, toujours.
Ils émettent comme des signes, des forces que je peux reconnaître. Jusqu’à ce que je leur demande : « Est-ce que je peux vous peindre ? » Cela paraît toujous un peu terrible, ringard.. Mais les gens sont flattés de cette demande, pour finir… Alima Davi par exemple. Je l’ai rencontré il avait vingt ans, il était déjà très snob quand je l’ai rencontré, il m’a dit : soit, mais il faut que je vois un peu ce que vous faites… Je me suis présentée. Il avait vu mon travail exposoé à la chapelle de la Salepétrière et il a accepté alors de poser comme je le voulais, y compris nu. Mes modèles : oui, il y a les concerant une récurrence. Lui, je l’ai pris pour de multiples séries : le Fayoum, les Chambres de sexe…
Je recherche chaque fois l’« idée » du portrait, qui implique qu’un visage puisse être autre. Je ne fais pas du portrait, même si je travaille sur la représntation de la figure humaine. Lui, par exemple, qui est chauve (il a perdu ses cheveux suite à un choc émotionnel), il est comme une image qui peut être ancienne, comme le sont les visages des premiers Fayoum. Sa figure peut aussi être projetée dans un futur, sans effet de datation. Comme une image éternelle.
Oui. Des visages qui n’appartiennent à rien, qui sont des apparitions. Quand je peins, c’est cette idée d’apparition qui m’importe. Un peu comme du temps des diapositivbes que l’on projetait. J’aime l’idée du flash, de la fulgurance de l’apparition.
Oui.
Parce que l’idée d’éternité m’obsède, de même que l’idée de notre finitude. Je veux faire ern sorte qu’il n’y ait pas de datation possible, parce qu’on n’est ni jeune ni vieux… Parfois je vieillis mes modèles, d’ailleurs. Dans l’idée de la peinture, il y a l’idée de l’éternité. Plus un prétexte pour questionner la peinture proprement dite. Si j’ai choisi la représentation, c’est pour questionner la peinture. Le portrait, oui, mais dans le sens de l’abstraction. Mon travail est au-delà du figuratif.
Oui, le médium même de la peinture. Qui fait que par exemple, je vais travailler sur la matité, sur l’espace de la toile, sur le choix du format, de façon sérielle ou pas… Pour apprécier la nature du geste, pour voir comment cela va réagir…
Oui. C’est la raison pour laquelle je refuse les commandes. En ce moment, par exemple, je travaille aussi sur des natures-mortes, une idée qui m’est venue de mon travail sur la Cène, du fait de la présence d’aliments sur la table sacrée. C’est pour une question d’expérimentation, d’ailleurs que j’ai envie de faire des formats très petits, de même que j’ai fait des grands formats. Ce qui m’intéresse dans les petits formats, c’est qu’on ne peut s’autoriser la reprise, sauf à faire de la miniature. Le premier geste est très important, dans ce cas.
C’est toujous la même histoire : on recommence et l’on on recommence encore faute d’être jamais satisfait. Quand tu approches de quelque chose, cela t’échappe, donc tu recommences. Mais la création m’habite totalement. À chaque fois que j’arrive à la fin d’une série, une nouvelle envie s’impose. Et je ne sais jamais où cela va aller. Je ne fais pas partie de ces peintres qui peignent tous les jours. J’écris, aussi. Je fais des films. Je n’aime pas les redites.
Quand tu peins, tu es dans un état de réflexion intense, l’esprit se met dans un état de voyance, on reçoit plein de signes… C’est plus intellectuel que pratique. C’est dialogique. Travailler la matière pour ouvrir un dialogue. Et puis, chaque jour est différent, chaque état de lumière est différent, tout bouge sans cesse.
Comme les deux. Je médite toujours longtemps avant de peindre. Comme un coureur s’entraîne avant une course. Après, arrive le temps de la matière, de la sensualité, de la barbarie même dans mon rapport à la peinture, quand je mélange les couleurs comme le ferait une cuisinière. Peindre, pour moi, c’est rentrer dans un état de sexualité, plutôt que de sensualité. À ce moment-là, souvent, je perds pied, je m’enfonce dans quelque chose de jubilatoire.
Oui. Car après, l’histoire est toujours la même : quand la toile est achevée, elle ne m’intéresse plus.
Tu as fait une « oeuvre », si l’on regarde l’ensmeble de ton parcours. Tu as produit un inventaire de figures humaines, de fait. Mais décalées. Tu peins des emblèmes, plus que des corps. Tu as construit une image de l’hiumain irréductibel aux schémas identaires le plus courants tels que le corps souffrant, le beau corps, le cors triomphant, le corps indifférent… Je veux t’entendre sur ce paradoxe : ne voulant pas être un peintre du portrait, tu finis par peindre des portraits, et voulant dire la nature humaine, tu produis de celle-ci une image erratique, difficile à classer…
C’est le point de vue du spectateur... À « portrait », on peut préferer « tête », « visage », pour parler d’une figure. J’ai toujours refusé le mot « portrait », s’agissant de ma peinture. Chaque fois que je peins un visage, je ne comprends pas exactement pourquoi je le peins. Le fait de ne pas comprendre préserve mon dédir. Et pour continuer, je veux garder cet état de désir.
C’est compliqué. D’une part parce que j’installe, je mets en forme mes tabelaux, et d’autre part parce que d’un autre côté je ne veux pas d‘anecdotes, ni raconter d’histoires. D‘où l’importance des fonds, dans mes peintures, l’impression aussi que les gens y flottent dans l’espace. Quand j’ai commencé à peindre, le critique d’art Bernanrd Lamarche-Vadel m’a dit : « Tu devrais te concentrer sur l’intérieur des visages que tu choisis ». Un jour, j’ai fait un autoportrait sur une toile blanche, sans fond. Puis je me suis concentré sur ce qui se passe dans le visage quand on le peint, dans le visage mais aussi dans les mains, les bras, les cuisses… J’aime les exrtémités du corps physique. Faire parler la peinture pour qu’elle bouge, pour qu’elle soit habitée. C’est cela, le questionnement de la peinture : faire se mouvoir les visages et les corps, rendre les choses vivantes. La beauté ne m’intéresse pas mais la vie, le bouillonnement, l’activation, oui.
Oui. Quand je rentre en peinture, c’est comme lorsque l’on rentre en religion. Et tant pis si j’ai gâché bien du temps avec mon ouvrage artistique. Une fois rentrée en peinture, je me suis retrouvée habitée, entière.
Oui. Comme une activité schizophrénéique. Comme un rituel. On met son enveloppe de protection, on passe ses habits de peintre, on rentre dans les couleurs. L’échappée, mais dedans.
Paris, le 23 à septembre 2013